Tu ne te souviens plus vraiment de ta vie avant l'orphelinat. Il faut dire que tu étais très petit, âgé de quelques mois seulement. Ta mère était bien trop jeune ! A quatorze ans, on ne sait rien de la vie, de plus, tu étais le fruit d'un viol, une raison supplémentaire de vouloir se débarrasser de toi, pas vrai ? Tu as donc grandi dans un orphelinat avec d'autres enfants que l'on ne souhaitait pas. Tu n'étais pas malheureux, non. Mais de là à dire que tu étais heureux... c'est une autre histoire. Tu voyais tes camarades se faire adopter et toi, tu restais là, dans cette foutue salle de jeux, isolé dans ton coin. Quand les parents te voyaient, ils disaient : « Il est un peu trop faiblard ce petit, nous recherchons un jeune garçon robuste. » Ton cœur se brisait à chaque fois, pourtant tu essayais de prendre de la masse, tu essayais de devenir robuste. Faut-il croire que ton tempérament était trop différent des autres.
Tu es allé à l'école comme tout le monde, tu étais très mauvais d'ailleurs. Le cancre, le paria, oui, on te nommais de cette façon et toi, du haut de tes cinq ans, tu gardais le sourire, tu gardais la politesse et les bonnes manières. Et puis, t'es devenu le souffre douleur de l'école, le bouc émissaire. On t'enfermait souvent dans les toilettes et parfois, on te tripotait. Tu n'as jamais parlé de ça à qui que ce soit, tu avais bien trop peur pour le faire.
Après une école primaire chaotique, le collège n'a pas été mieux. Admettons-le, tu n'étais pas très beau. Le boutonneux, le gros qui pue, l'incapable et encore tu en passes et des meilleures. Tu as donc attenté à ta vie par trois fois mais, à chaque fois, il y avait ce type louche qui appelait les secours, qui te faisait des garrots. Tu n'as jamais compris pourquoi il avait tant de considération pour toi.
Tu n'es pas allé au bout de ta scolarité, on t'a mis à bosser à l'âge de quinze ans dans un garage miteux. Tu ne t'en plaignais pas parce que tu avais besoin d'argent. Et puis les années ont passé, tu as réussi à décrocher un contrat CDI dans le Starbucks du coin. Tu pouvais enfin avoir un petit chez toi, loin de l'orphelinat et de la rue.
Aujourd'hui, ça fait deux années pleines que tu bosses au même endroit. Tu n'as pas un salaire mirobolant mais, tu arrive à tenir le rythme malgré ta santé fragile. Tu es un jeune plus ou moins épanoui, mais il te manque quelque chose, ou plutôt quelqu'un... |